Les métaphores naturelles dans le débat sur la Révolution de 1789 à 1815

 

Thèse d’Olivier Ritz.

 

Université Paris-Sorbonne.

Doctorat international, « Les Mythes fondateurs de l’Europe dans les arts et la littérature » (universités de Bonn, de Florence et de Paris-Sorbonne).

 

Sous la direction de Michel Delon.

 

Soutenance le 15 novembre 2014.

Jury composé de Giovanna Angeli (Florence), Paul Geyer (Bonn), Florence Lotterie (Paris 7), Jean-Marie Roulin (Saint-Étienne) et Pierre Serna (Paris 1).

 

Résumé

 

Considérer qu’une grande partie des textes publiés à partir de 1789 participent à un même débat sur la Révolution permet d’envisager à la fois leurs divergences et leur unité. Le débat constitue un cadre commun et met au jour des dynamiques. Pour étudier la littérature de la Révolution, il faut considérer ensemble deux aspects : d’une part la perte des repères anciens et l’ouverture des possibles, d’autre part le mouvement de redéfinition et la mise en place d’un ordre littéraire nouveau. Les métaphores naturelles introduisent les discours sur la nature dans les textes et configurent des relations nouvelles entre la politique, la science et la littérature. Leur étude met en évidence trois fonctions, parfois complémentaires et parfois concurrentes.

 

Premièrement, les métaphores naturelles du débat sur la Révolution ont une fonction rhétorique. Elles sont des instruments du débat qui renforcent la charge émotive ou la portée argumentative des textes. Deux exemples doivent être soulignés. Le premier est l’invention de la Terreur : les métaphores qui font des années 1792-1794 une catastrophe naturelle alimentent la peur et associent étroitement la Révolution à l’idée de violence. L’invention littéraire de la Terreur repose sur les impressions produites par les événements, mais elle les détourne en les rendant univoques. Les métaphores naturelles jouent un rôle plus grand encore dans le deuxième exemple : mieux que tout autre procédé d’écriture, elles peuvent représenter la Révolution comme un phénomène politique qui échappe inévitablement à ses acteurs. Les métaphores figurent alors un monde où, face aux phénomènes naturels qui le dépassent, l’homme fait le constat de son impuissance.

 

 Deuxièmement, les métaphores naturelles du débat sur la Révolution sont des instruments de connaissance. Ceux qui cherchent les moyens de comprendre la Révolution et de rendre compte de sa complexité proposent des modèles inspirés des sciences de la nature. Héritiers d’une conception mécaniste du monde, des auteurs de tous bords voudraient trouver les lois régulières des sociétés humaines. L’impossibilité de tout réduire à des lois simples suscite cependant des questionnements nouveaux. Le développement des sciences naturelles et spéculatives offre de nouveaux outils conceptuels qui permettent de faire la part des inconnues.

 

Le texte qui témoigne le mieux de la recherche d’une science politique et de ses contradictions est L’Essai sur les Révolutions de Chateaubriand (1797). Le projet affiché d’une histoire universelle des révolutions se défait de lui-même au fil des pages. Chateaubriand abandonne progressivement des héritages intellectuels anciens et cherche à leur substituer de nouveaux savoirs. Tantôt naturaliste, tantôt mathématicien, il rêve de systèmes d’explications définitifs mais dit aussi que certaines inconnues sont irréductibles et cède déjà au vague des passions. L’histoire du texte entre 1797 et 1815 montre une évolution significative : les seuls extraits publiés une fois Chateaubriand de retour en France sont expurgés de toutes les analogies scientifiques. Après l’apogée des années qui suivent le 9 thermidor, les idées de mesure et de calcul perdent du terrain en politique et de plus en plus d’auteurs en appellent à une sensibilité qui n’est pas mesurable.

 

Troisièmement, les métaphores opèrent des partages et répartissent les rôles. Les valeurs rhétoriques et cognitives se combinent : la capacité des métaphores à tisser des liens ouvre de nouveaux espaces de liberté, mais elle génère également de nouvelles contraintes lorsque ces liens se fixent et que les métaphores tracent des frontières. Lorsqu’elle ont cette fonction de définition, les métaphores n’interviennent pas seulement comme instruments de figuration ou d’analogie : elles sont aussi des marqueurs stylistiques.

 

L’héritage littéraire le plus tenace du débat sur la Révolution est doute sans la conception de la littérature qui devient alors dominante : fondamentalement esthétique et sensible, la littérature serait l’antithèse des sciences, elle devrait exprimer l’universel et perdrait de sa qualité à se mêler de trop près aux questions politiques. Les métaphores interviennent à plusieurs niveaux pour imposer cette manière de voir. D’une part, lorsque le débat sur la Révolution se prolonge dans le débat sur la littérature, les métaphores naturelles se spécialisent pour construire le mythe d’un antagonisme entre littérature et Révolution : aux images du vivant répondent celles des catastrophes naturelles. D’autre part, les métaphores expriment la sensibilité des auteurs en affichant leur proximité avec la nature. Cette relation privilégiée à la nature est aussi un gage de sincérité, loin des mensonges des sociétés humaines. Enfin, les métaphores permettent d’exhiber un style.

 

En France, en Angleterre et en Allemagne se développe le même mythe d’une littérature individuelle et universelle, fondée sur la poésie de la nature et des sentiments. La publication d’Atala en avril 1801 est un nouveau départ dans la carrière littéraire de Chateaubriand. En abandonnant les rives de la Seine pour les rivages romanesques du Mississipi, Chateaubriand met l’histoire entre parenthèse et fait ses adieux au 18e siècle. Alors que l’Essai sur les révolutions semblait hésiter entre écriture historique, politique, encyclopédique d’un côté, ou écriture littéraire et poétique de l’autre, les tempêtes d’Atala disent le sublime d’une nature qui se suffit à elle-même et la beauté d’une littérature indépendante des vicissitudes humaines. Si la réponse de Chateaubriand aux désirs du public et du pouvoir est conjoncturelle, la sacralisation de l’écriture qu’elle implique marquera durablement la littérature.