THESE DE DOCTORAT

 

Élodie SALICETO (Université Jean Monnet, Saint-Etienne et Université IULM, Milan)

 

Pour une littérature néoclassique : les enjeux esthétiques de la représentation de l'Italie sous le Consulat et l'Empire .

 

Thèse de doctorat sous la direction du Prof. Jean-Marie Roulin (Univesrité Jean Monnet - UMR LIRE 5611 (Littérature, Idéologies, Représentations XVIII e - XIX e siècles, Saint-Etienne) et du Prof. Aurelio Principato (Libera Università di Lingue e Comunicazione (IULM) de Milan, Italie ; École Doctorale « Le letterature, le culture e l'Europa : storia, scrittura e traduzioni »)

 

 

Descriptif du projet

 

Ce travail de doctorat a pour ambition de décrire la représentation de l'Italie par des auteurs français ou francophones à l'articulation des XVIII e et XIX e siècles (de 1795 aux années 1820) et de découvrir de nouveaux outils et concepts littéraires grâce à une confrontation des textes avec les principes de l'esthétique néoclassique à l'oeuvre dans l'ensemble des productions artistiques de l'époque.

 

Les choix méthodologiques privilégieront ainsi la convergence interdisciplinaire (notamment entre littérature, histoire de l'art et esthétique), de même que les échanges culturels entre France et Italie.

 

Le corpus recoupe différents genres, romans ou oeuvres de fiction, récits de voyage, correspondances ainsi qu'essais théoriques et littérature d'idées. Il est organisé à partir d'une tension entre Chateaubriand et Stendhal, deux pôles d'un parcours comprenant donc des oeuvres de Chateaubriand [essentiellement le Génie du christianisme (1802), René , Les Martyrs (1809) et le Voyage en Italie (publié en 1827)] ; Quatremère de Quincy ( Lettres à Miranda sur le Déplacement des Monuments de l'Art de l'Italie , 1796) ; quelques membres du groupe de Coppet dont Mme de Staël ( Corinne ou l'Italie , 1807 ; De la littérature , 1800), Bonstetten ( Voyage sur la scène des six derniers livres de l'Énéide, suivi de quelques observations sur le Latium moderne , 1804) ou Sismondi ( De la littérature du Midi de l'Europe , 1813) ; divers auteurs « mineurs » néoclassiques ; enfin Stendhal ( Histoire de la peinture en Italie , 1817 ; Rome, Naples et Florence en 1817 ; L'Italie en 1818 ).

 

Quelques éléments de problématique

 

Bien qu'héritière d'une longue tradition de représentation italienne, la « littérature qui exprime l'ère nouvelle », selon une expression de Chateaubriand dans les Mémoires d'outre-tombe , souhaite inventer une modernité que l'on pourrait provisoirement définir à la suite d'Hans Robert Jauss ( Pour une esthétique de la réception ) comme « la conscience historique qu'un nouveau présent prend de lui-même » mais qui devra être modulée selon les auteurs car parfois paradoxale ; elle inscrit l'Italie, elle-même tiraillée entre souvenir de sa grandeur antique et domination napoléonienne présente, au coeur de ses préoccupations esthétiques. Le modèle assimilé y est appréhendé par le biais d'un regard neuf qui revendique sa singularité : « j'ai vu, je crois, ce que personne n'a vu » écrit Chateaubriand dans le Voyage en Italie . Dès lors, au sein de son dialogue avec les arts, favorisé par les nombreux échanges entre écrivains et artistes français et italiens, la littérature du Consulat et de l'Empire semble mettre en application la théorie néoclassique - sans encore employer le terme de « néoclassicisme », attesté en 1928 seulement : le modèle antique puis classique, norme de perfection du goût, « vrai style » ( buona strada ) n'y est pas copié mais « déplacé », extrait et distillé dans des perspectives nouvelles et parfois conflictuelles. L'exemplarité de l'antique pose problème en matière de réception : le passé transmis, traduit au présent et éclairé par l'actualité acquiert un sens nouveau. Les valeurs esthétiques elles-mêmes ne sont pas indépendantes de leur perception historique : le beau absolu, normatif est remis en cause par les théories du beau relatif, et notamment le «romanticisme » stendhalien, expression de la beauté actuelle historiquement déterminée, adversaire de l'académisme.

 

On constate donc que la représentation de l'Italie s'inscrit, au tournant des Lumières, au coeur d'un débat esthétique très virulent. La tension est également au coeur de l'écriture « néoclassique », dont la tendance est d'idéaliser, d'éterniser la réalité.

 

Dans ces discours, Antiquité et modernité sont-elles en rupture, en continuité, voire superposées comme l'image de fusion des héritages culturels qu'offre la ville de Rome? De même, comment l'antique parvient-il à être paradoxalement intégré à une revendication de modernité, « sous le signe de Janus » (Antonio Pinelli) ? Et quelles sont les implications esthétiques d'une telle poétique du temps?

 

Cette époque-charnière continue de développer les théories classiques de l'imitation dans les arts comme saisie de la beauté idéale, redéployées par Winckelmann et Quatremère de Quincy. Le beau, « idée visible de la perfection » selon une expression de Winckelmann, permet une communion entre le créateur et l'observateur, et participe aussi bien du sentiment esthétique que du sentiment éthique, religieux.

 

Un certain nombre de failles surgissent, faisant osciller la représentation entre l'ancien (Italie classique, «livresque ») et le nouveau, la reconnaissance et la surprise, le passé et le présent dans un discours italien infléchi dont il s'agira d'étudier les diverses modalités en prenant garde de distinguer énoncés et position énonciative, cette dernière constituant fréquemment le creuset de l'affirmation d'une subjectivité moderne.

 

Ainsi, la littérature du Consulat et de l'Empire renouvelle l'image de l'Italie en assimilant et retravaillant diverses théories en tension, dont il conviendra d'interroger la pertinence en analyse littéraire : la « poétique des ruines », les concepts de grâce (Canova, Foscolo) et de beau idéal (Winckelmann), de pittoresque et de sublime. Cette littérature parfois à vocation ekphrastique définit une nouvelle perception picturale du paysage, et construit, en lien avec la thématique du tombeau et de la mémoire, le motif du musée, à la fois sépulcre et enjeu artistique, historique, philosophique et patrimonial.